GRAN CHACO
DE LA FORÊT À L'USINE
Dans le Gran Chaco, deuxième plus grande forêt d'Amérique du Sud après l'Amazonie, les différentes communautés aborigènes sont victimes de la mondialisation et de son exportation intensive. Les géants de l’agroalimentaire de l’Argentine et du Paraguay, où se trouve la plus grande partie du Chaco, été à l’origine de l’une des plus importantes déforestations du monde, avec 20 pour cent de la forêt en 20 ans (soit 142 000 kilomètres carrés) remplacés par d’immenses cultures de soja, qui viendront nourrir les élevages industriels dans le monde, mais aussi des bovins, pour répondre à la demande mondiale de cuir et de bœuf. De nombreuses communautés ont été chassées de leurs terres et le nouveau paysage a profondément affecté les cultures, traditions et langues des peuples natifs.
Les peuples du Gran chaco comme les Wichis ou les Ayoreos vivent maintenant entre deux mondes. D’un côté ils doivent s’adapter et survivre à la mondialisation qui en 20 ans a généré une déforestation massive du Chaco pour laisser place à des plantations de Soja transgénique et a de grands espaces pour l’élevage bovin, de l’autre ils mènent une lutte pour la sauvegarde de leurs langues ,traditions et arts de vivre avec la nature. La chasse et la cueillette sont devenues des activités occasionnelles. Avec la déforestation, la biodiversité a été bouleversée, beaucoup d’animaux ont disparu, les ruches naturelles des abeilles sont difficiles à trouver et les plantes utilisées pour la médecine ou pour l'artisanat ne repoussent plus. Les familles sont obligées d’acheter les matières premières pour pouvoir tisser et produire ces œuvres traditionnelles qui leur permettent de survivre.
L’impact occidental sur les communautés a également modifié leur régime alimentaire, produisant une augmentation des problèmes cardio-vasculaires, l'accès aux hôpitaux demeurant toujours difficile en raison des distances à parcourir. La médecine naturelle est donc de moins en moins pratiquée, la transmission de ses connaissances se diluant par conséquent d’une génération à une autre.
Les peuples natifs du Chaco ont donc commencé à perdre leur indépendance économique, sanitaire et parfois même culturelle pour les plus jeunes qui ne parlent pas la langue. Dans le nord de l’Argentine, certains adolescents ont des difficultés à communiquer en Wichi avec leurs grands-parents et doivent utiliser l’espagnol.
Les signes du monde extérieur (smartphones, antennes satellites, télévisions, motos) ne manquent pas au sein des communautés,mais les conditions de vie restent très difficiles, la pauvreté est partout. Pour beaucoup de villages, il n’y a pas d'électricité et l’eau est récupérée pendant la saison des pluies. Ceci pose un grave problème, provoqué par un changement climatique qui réduit de plus en plus les quantités nécessaires.
Dans ce nouveau monde il faut donc trouver du travail. Dans le Salta, en Argentine les Wichis sont parfois embauchés dans les plantations de Soja ou dans la ville la plus proche, mais discriminés, ils sont sous-payés et exploités sans contrat de travail. Au Paraguay, dans le nord du Chaco, ce sont les colonies Mennonites qui dominent la région, des colons allemands venus s’installer il y a presque 100 ans dans le Chaco. En 1927 le gouvernement leur vend de grands espaces de terre appartenant aux aborigènes, mais n’ayant aucun droit dessus. Les Mennonites sont des spécialistes de l’agriculture et de l'élevage, ils développent un empire économique très important dans le pays et continuent à s’étendre dans l’exportation bovine au détriment des communautés Ayoreos et du Gran Chaco, complètement déboisé.
Les conditions de vie difficiles dans les villages et l’évolution de la pauvreté poussent les communautés autochtones à venir travailler pour ces propriétaires devenant une main-d'œuvre bon marché. Sous-payés et méprisés , beaucoup travaillent dans des usines de productions agricoles sans protection sociale et la vulnérabilité des travailleurs Ayoreos permet aux fermiers de garder un pouvoir économique et social fort dans la région.
Les Mennonites ne sont pas les seuls responsables, à la suite de nombreux accords avec des entreprises transnationales spécialisées dans l'exportation des matières premières, la forêt du Gran Chaco a été transformée en une machine à production, sans aucune attention portée à la crise environnementale et humaine. Crise dont les acteurs mentionnés plus haut sont largement responsables.
Aujourd'hui les peuples de la forêt du Gran Chaco sont devenus une classe de travailleurs pauvres dans un monde néolibéral. C’est dans ce monde où chaque continent y compris l’Europe, par l’énormité du volume de soja et de viandes importés, a sa responsabilité, que se joue un écocide dont l’impact humanitaire est déjà tragique .